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L'HUMANITUDE DANS LES SOINS
Méthodologie de soin à la philosophie de soin
La philosophie de soin de l’humanitude, pour des raisons essentiellement pédagogiques, est présentée généralement à partir de cette définition/réflexion sur ce qu’est un soignant :
« Un soignant est un professionnel qui prend soin d’une personne qui a des préoccupations ou des problèmes de santé pour l’aider à l’améliorer, à la maintenir, ou pour accompagner cette personne jusqu’à la mort. Un professionnel qui ne doit en aucun cas nuire à la santé de cette personne. »
C’est dans la manière dont s’est constituée la sensibilité de l’être humain qui est en face de nous que se situe l’origine de certaines techniques du prendre-soin.
Ce qui implique également de ne jamais considérer ces connaissances sur les humains dont nous prenons soin que comme des connaissance toujours susceptibles de n’être pas valables pour tel ou tel humain ayant développé, à cause de son histoire, par exemple, une sensibilité différente de celles des autres. Aucun outil, aussi efficace soit-il, n’a de sens s’il n’est pas ajusté à la personne.
Ce principe, au cœur de la relation soignante, nous le retrouverons sans cesse dans la philosophie de soin, à travers notamment : le respect de l’autonomie ; le principe d’ajustement ; la notion de personne (être humain unique, dont le point commun avec les autres est de pouvoir être diffèrent des autres…).
De l’être humain à la personne
À l’opposé de Maslow, qui décrivit les « besoins » de communication, d’affection, comme venant après d’autres besoins, Y. Gineste et R. Marescotti ont intégré les apports des études ayant montré, ces dernières décennies, que l’être humain se développait en tant qu’être humain, dès son stade embryonnaire, par les échanges – entre autres affectifs – qu’il a avec son entourage.
L’humain est par nature un animal social (zoon politikon) écrivait Aristote : on ne dirait pas mieux aujourd’hui tant on sait désormais que culture et nature ne se séparent pas chez lui, et qu’il faut à un humain, pour développer toutes ses caractéristiques d’être humain, d’autres humains.
S’ensuit également que parmi les caractéristiques de l’humanitude figure celle – on peut très grossièrement la rapprocher de l’autonomie psychique – qui permet justement à chaque être humain de se développer dans son unicité, en tant que personne.
Dès lors, c’est à la base de cette compréhension de l’Homme et à la base du prendre-soin que doit figurer la reconnaissance de cette autonomie au sens large (ce qui fait que chacun de nous est différent des autres ne se réduit pas à sa faculté d’autonomie psychique : cette unicité se trouve dans tous les aspects d’un être, depuis sa manière de se sentir dans son corps jusqu’à son histoire en passant par ses goûts et ses proches…), de tout ce qui fait que chaque personne est différente des autres.
Cette philosophie de soins peut permettre au soignant de comprendre que la personne qu’il a en face de lui est à la fois un animal humain semblable à tous les autres et en même temps un être humain différent de tous les autres (une personne) parce qu’elle a pour base la reconnaissance de ce point fondamental : une personne est un être unique dont l’unicité repose en particulier sur des modes, des manières propres à elle, d’être un « animal humain social unique vivant », de vivre sa vie, son humanité, sa socialité.
Une part essentielle du prendre soin consiste à reconnaître la personne, quelle que soit sa maladie, et comme un animal vivant (et donc à lui apporter ce qui lui permet de rester en vie), et comme un être humain (et donc à lui permettre d’utiliser ses caractéristiques d’être humain, ses désirs-besoins de communiquer, de comprendre, de choisir, etc.) et comme une personne singulière (et donc à lui permettre de vivre ses désirs et ses besoins à sa manière, à son rythme, etc.).
Ces reconnaissances sont, théoriquement, faciles. Elles se heurtent dans la réalité à plusieurs obstacles.
Comment reconnaître la personne dans ce qu’elle a d’unique dans le cadre d’un lieu de vie collectif, par exemple, possédant de nombreuses contraintes ?
Comment reconnaître l’humanitude d’une personne, lui permettre de développer ou de maintenir ses capacités d’être humain dans des situations où manquent des professionnels, des matériels, des lieux adaptés ?
Comment maintenir avec des êtres humains très malades, qui par exemple ne parviennent plus à communiquer comme nous en avons l’habitude (de manière verbale, interactive), une communication, par la parole, par le regard, par le toucher ? On constate une fois de plus à quel point toutes les questions que traite une philosophie de soin sont indissociables de leurs traductions concrètes dans les travaux sur la méthodologie de soins, sur les « milieux de vie », etc.
Fonder le prendre soin autour des notions d’humanitude et de personne permet de ne pas séparer radicalement, comme le firent certains disciples de Maslow, un « essentiel » d’un « secondaire », de ne pas établir une hiérarchie des besoins censée être valable pour tous les humains, mais de réfléchir d’abord à ce pour quoi tel besoin, tel désir, est essentiel.
Pour vivre en tant qu’animal vivant (lézard ou humain), il faut disposer d’oxygène, de nourriture, etc.
Pour vivre en tant qu’animal humain (social) vivant, il est d’autres besoins et d’autres caractéristiques, où l’on va trouver :
- des manières particulières (humaines, précisément) de manger, de boire…
- des facultés spécifiques aux êtres humains : enterrer ses morts ; réfléchir à sa condition ; s’habiller ; créer des œuvres d’art ; etc.
- des manières particulières d’utiliser toutes les facultés précédentes en fonction de sa culture, de sa communauté, de sa famille, etc?Il existe en effet plusieurs « appartenances » intermédiaires :….
Priver une personne de ce qui lui est nécessaire pour être une personne, c’est-à-dire de sa manière propre à elle d’être vivante et d’être humaine (sa manière à elle de communiquer, de manger, de s’habiller, etc.) conduit à la dépersonnaliser.
Priver un être humain de ce qui lui est nécessaire pour être un animal social, par exemple en le privant de contact avec les autres humains, en le séparant de sa famille, etc., conduit à le désocialiser.
Priver un être humain de ce qui lui est nécessaire pour être un humain, c’est-à-dire de certaines facultés propres aux humains (penser, communiquer par la parole, par exemple) et de certaines manières de faire propre aux humains (par exemple ne pas manger dans une auge), conduit à le déshumaniser.
Priver un animal vivant de ce qui lui est nécessaire pour être vivant conduit à le tuer.
Dépersonnaliser, désocialiser, déshumaniser : la distinction que nous faisons ici entre ces trois processus ne doit pas conduire à ignorer que les deux premiers d’entre eux rejoignent le troisième.
Parce que chaque être humain est, par nature, un être social et un être différent des autres, unique, tout ce qui le dépersonnalise, tout ce qui le désocialise, le déshumanise.
C’est en cela qu’une philosophie de soin comme celle de l’humanitude est extrêmement exigeante : elle doit conduire à réfléchir sur la gravité de choses (une personne ne mange pas ce qu’elle aime ; une personne ne peut plus assister à la messe ; une personne n’est jamais prévenue quand on entre dans sa chambre ; etc.) qu’on pouvait aisément minimiser lorsqu’on considérait qu’elles n’étaient que des expressions de « besoins secondaires ».
Risque de dépersonnalisation-désocialisation-déshumanisation : l’un des enjeux aigus du travail en gérontologie vise constamment à prévenir ce risque-là, toujours menaçant quand une société porte sur un groupe de citoyens un regard négatif (l’âgisme, le racisme antivieux, uniformise les « personnes âgées » et les exclut), toujours menaçant quand des citoyens vulnérables vivent dans des institutions collectives (ces « institutions totales » que décrivait E. Goffman, qui toujours tentent à industrialiser le travail… et donc les conduites de ceux qui travaillent comme de ceux qui bénéficient de ce travail).
Philosophie de soin exigeante : elle conduit les soignants à travailler ces manières concrètes de prendre-soin permettant d’ajuster le prendre soin à l’hypersensibilité si particulière des personnes atteintes de syndromes démentiels ; elle conduit les établissements à mener le travail sur la notion de « milieu de vie ».
Qu’est-ce qui favorise le sentiment d’être, si ce n’est chez soi, au moins « comme chez soi » ?
Qu’est-ce qui fait le sentiment d’être dans un milieu centré, non sur la maladie ou le handicap mais sur ce qui peut nourrir les forces de vie, le désir de vivre de la personne ? Comment, au sein d’une collectivité, permettre à la personne de posséder son intimité, son espace, ses rythmes ? Etc.
Le respect de l’autonomie (aider l’Autre à prendre soin de lui)
Mettre en exergue le respect de l’autonomie (fonctionnelle, psychique, sociale… – toutes les déclinaisons de l’autonomie) est indispensable : c’est bien (en plus de notre histoire, de nos proches, etc.) notre autonomie psychique, atteinte ou non par une maladie, qui nous rend unique, qui a permis et permet à chacun d’entre nous de posséder ses besoins, ses désirs, ses goûts, ses valeurs, son rapport au temps, à l’espace, etc.
Malmenée, l’autonomie psychique l’a été pendant des années, tant qu’on considérait que le soignant savait mieux que la personne ce qui était bon pour elle et pouvait lui imposer ce bien-là contre son gré.
Malmenée, l’autonomie fonctionnelle l’a été pendant des années : parce que les professionnels pensaient savoir mieux faire certains actes, parce qu’ils pensaient être là pour les faire à la place de la personne. Et nous ne parlerons pas ici de certains héritages, comme celui du « patient couché », qui a fabriqué des milliers de grabataires.
Le principe de respect de l’autonomie et de la liberté individuelle, désormais inscrit dans la loi, est fondamental. Il impose de systématiquement rechercher et de tenir compte du consentement de la personne?. Recherche systématique du consentement y compris, comme la loi…, de ne pas lui imposer des soins de force, de fournir les informations dont elle a besoin pour prendre des décisions, de favoriser les situations où elle peut exercer ses choix, etc.
Leur respect implique d’accepter qu’on ne peut protéger une personne psychiquement autonome contre son gré, qu’on ne peut l’empêcher, si elle le souhaite, de prendre des risques.
La responsabilité du soignant ne peut porter atteinte aux droits de la personne autonome. La responsabilité du soignant s’arrête où commence la liberté de cette personne tant qu’elle est autonome.
L’importance de l’exercice de l’autonomie et de la liberté pour la santé conduisent aujourd’hui à promouvoir un prendre-soin qui ne soit pas seulement dans le respect de l’autonomie existante de la personne, mais qui veille à l’améliorer ou à la maintenir, qui veille à permettre à la personne de posséder le maximum de contrôle sur sa vie. (L’élaboration d’un prendre-soin avec la personne n’est pas qu’une question de respect de l’autre : c’est également un acte de soin, potentiellement libérateur, qui peut restituer à l’individu une part de la confiance en soi et de la maîtrise sur sa vie atteintes par le handicap ou la maladie.)
Philosophie du lien et éthique de la relation (aider l’Autre à prendre soin de lui)
Le respect de l’autonomie et l’attention à toutes les formes d’autonomie, y compris celle témoignant surtout de la composante émotionnelle de l’autonomie (« je sens ce qui est bon pour moi »), rappelle que le prendre-soin est toujours une relation et impose que la question des interactions irrigue la philosophie de soin comme la méthodologie de soin.
En premier lieu en refusant de séparer l’inséparable : il n’y a pas des actes de prendre-soin qui seraient techniques et d’autres qui seraient relationnels. Qu’est-ce qu’un soin relationnel qui ne serait pas également technique – comme si regarder, parler, toucher une personne atteinte de certaines maladies ou handicaps constituait des savoirs innés, n’avait pas à faire l’objet d’un apprentissage. Qu’est-ce qu’un soin technique qui ne serait pas relationnel ? Toute interaction est relation. Un « soin technique non relationnel », ce que l’on entend habituellement par là, c’est précisément un soin où, par exemple, le soignant ne regarde pas la personne, ne lui parle pas, ne la touche qu’utilement. Mais ce n’est pas « un soin non relationnel » cela : c’est un soin relationnel qui refuse la relation, qui dit non-verbalement à la personne : je refuse de croiser ton regard, je refuse de communiquer par la parole avec toi, etc.
La philosophie de soins de l’humanitude reprend les constats d’H. Peplau : d’une part, la maladie ou le handicap constitue une expérience à laquelle la personne peut donner du sens ; d’autre part, dans une situation de dépendance à des professionnels, le discours et l’attitude de ces professionnels est l’un des éléments fondamentaux sur lesquels la personne va s’appuyer pour donner du sens à ce qu’elle vit. Et si l’on sait à quel point il est des soignants valorisants, narcissisants, qui rendent la personne malade plus autonome, on sait aussi qu’il en est qui, en la considérant comme une « incapable », une « dépendante », l’infantilisent, la dégradent – et finissent par tout justifier : je te considère mal, donc je peux te traiter mal.
Autrement dit, au cœur de la pensée de la relation de soin figure cet élément fondamental de l’humanitude : l’être humain est un être de sens, de choix, d’interprétation. Soignant comme malade. Et qu’entre eux, dans la relation de soin, ces sens et ces interprétations vont aussi s’échanger, s’opposer, s’étayer, etc.
« Prendre soin de l’Autre », « aider l’Autre à prendre soin de lui » : autant d’objectifs qui imposent, comme H. Peplau l’avait perçu avec acuité, que le soignant soit autonome, observateur de ses sensations et de celles de la personne malade, capable d’entendre ce que la personne ressent et d’entendre ce que ce ressenti provoque en écho, etc.
Comprendre sans juger et guider sans contraindre impliquent de porter une vigilance particulière à quelques aspects essentiels :
- Au sens donné par la personne à la maladie ou au handicap qu’elle vit ;
- Plus globalement, au ressenti de la personne, qu’il n’appartient pas au soignant de nier (au contraire du classique : « Je ne suis pas bien ici. » « Mais si, vous êtes bien ici, on s’occupe bien de vous ici… »), y compris quand ce ressenti exprime les sensations nombreuses, souvent mouvantes, conflictuelles, par rapport à une relation de dépendance (identifications, projections, rejets, agressivité, etc).
- Aux éléments qui renforcent ou maintiennent l’autonomie et la personnalité (autonomie psychique, à travers les possibilités de faire des choix, à travers le droit de dire non, de refuser… ; autonomie fonctionnelle, à travers tout le travail sur la verticalité, sur l’utilisation des capacités restantes…) ;
- Aux variations des équilibres et déséquilibres, aux changements permanents, en fonction de la maladie et du handicap, en fonction des interactions avec les soignants et avec ses proches, avec l’environnement humain et matériel dans son ensemble ;
- Aux conséquences, en termes relationnels et de conduites, que peuvent avoir l’angoisse, l’anxiété, la culpabilité. Les penser implique de réfléchir encore et toujours au sens que portent les demandes infinies, ou contradictoires, ou… absentes (s’interroge-t-on assez souvent sur ce « trop bon patient » qui ne demande plus rien, ou sur ce patient qui demande une chose (manger par exemple) faute d’en obtenir une autre (sortir et discuter) ?) ;
- À la fonction soignante de « maternage psychologique », d’étayage psychique, telle qu’on la trouve aussi décrite dans de nombreux travaux inspirés de Winicott ;
- Aux risques d’excès de pouvoir. La relation de prendre-soin est une relation inégalitaire : le professionnel dispose, par son statut, par son savoir, par l’institution à laquelle il appartient, d’un pouvoir important. Un pouvoir qui, sur une personne vulnérable, malade, peut devenir abusif. Comme l’écrivait Montesquieu, « pour qu’on ne puisse abuser du pouvoir, il faut que, par la disposition des choses, le pouvoir arrête le pouvoir ». Aux côtés des moyens que se donne l’institution pour cela, chaque professionnel se doit à une forme d’auto-vigilance pour rétablir un maximum d’égalité en donnant du pouvoir à la personne et en veillant à ne pas abuser de son propre pouvoir.
Ajoutons qu’il est impératif, essentiel, que la personne puisse faire confiance à ceux qui prennent soin d’elle.
La loyauté des actes du prendre-soin, dans la transmission des informations, dans l’explication des soins, dans la recherche du consentement, mais également dans les gestes, les regards, les attitudes, est indispensable à l’établissement et au maintien de cette confiance. Répétons cette évidence : un soignant se heurtera d’autant plus à l’absence de motivation ou au refus de consentir à un soin, que ce qu’il aura fait ou dit rendra la personne méfiante et craintive. À l’inverse, il est extrêmement rare qu’une personne en confiance, qui sent concrètement la bienveillance du soignant, refuse ce que celui-ci lui propose.
Aidé par ce que nous dit la personne ou guidé par ce qu’elle exprime, même brutalement, de son ressenti… : le prendre-soin implique un partage des savoirs entre le professionnel et la personne, une mise en commun des expertises, le professionnel étant expert sur la maladie, sur le soin, etc., la personne étant experte sur elle-même…
Bref panorama…
« Un soignant est un professionnel qui prend soin d’une personne qui a des préoccupations ou des problèmes de santé pour l’aider à l’améliorer, à la maintenir, ou pour accompagner cette personne jusqu’à la mort. Un professionnel qui ne doit en aucun cas nuire à la santé de cette personne. »
Date de dernière mise à jour : 15/06/2020
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